Pour une conception réaliste de la responsabilité civile de l’avocat
Auteur : ENGLISH Benjamin
Publié le :
16/01/2017
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2017
Par plusieurs arrêts rendus récemment, et sans que la présente analyse ait vocation à dresser un tableau exhaustif des dernières jurisprudences rendues en la matière, la Cour de Cassation a semblé revenir sur certains principes que l'on pensait acquis relatifs à l'engagement de la responsabilité civile professionnelle des avocats et autres professions du droit.
Par un arrêt remarqué en date du 12 octobre 2016 (Cass civ. 1, 12 octobre 2016 : Pourvois n° 15 – 23 230 et n°15 – 26 147, commenté à la revue Dalloz Avocat 2016 page 365 sous la plume de notre consœur Monika MAHY-MA-SOMGA) les juges du droit ont pu estimer que « toute perte de chance ouvre droit à réparation ; qu'ayant retenu que la faute commise par l'avocat avait fait perdre à M. X une chance, même minime, de voir écarter les prétentions du prêteur, les juges d'appel ont, à bon droit, admis sa demande d'indemnisation ; »
Selon la jurisprudence habituelle, la faute de l'avocat ayant fait perdre une chance à son client d'obtenir gain de cause en justice est indemnisable. La Cour de cassation a précisé que la réparation d’une perte de chance doit être mesurée à l’aune de la chance perdue et ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée (Cass. civ. 1ère, 16 juillet 1998, Bull. civ. I, n°260, entre autres).
Elle enseigne également que le pouvoir d’appréciation des juges du fond est souverain et qu’il revient alors à la juridiction « d’apprécier la chance qu’avaient les demandeurs d’obtenir satisfaction, en reconstituant fictivement la discussion qui aurait pu s’instaurer entre les victimes et leur assureur, et de tenir compte du moment auquel les indemnités auraient pu être payées ; » (Cass. civ. 1 ère, 4 avril 2001 : Pourvoi n°98-11364).
C’est ainsi que la « victime » doit rapporter la preuve qu’elle avait des chances d’obtenir gain de cause en appel (Cass. Civ. 1ère, 8 juillet 2003 : Pourvoi n°99-21504).
Par deux arrêts rendus respectivement le 30 avril 2014 et le 10 juillet 2014 la Cour de Cassation avait confirmé que le caractère indemnisable du principe d'une perte de chance ne pouvait être acquis que dans l'hypothèse d'une chance « raisonnable » d'obtenir une décision différente (Cass. civ. 1ère, 30 avril 2014: Pourvoi 12-22567 et Cass. civ. 1 ère, 10 juillet 2014: Pourvoi 13-20606). Cette position sur la perte de chance raisonnable avait été encore rappelée récemment (Cass. civ. 1ère, 25 novembre 2015 : Pourvoi n°14-25109 et Cass. civ. 1, 1er juin 2016: Pourvoi 15-20397).
Même si la notion de « chance raisonnable » restait relativement vague et laissait une large appréciation au demeurant normale au pouvoir d'appréciation des juges du fond dans chaque espèce, la doctrine avait salué une position qui avait été analysée comme venant admettre une condition tenant à la démonstration par le plaignant d'une probabilité minimale de chance d'obtenir gain de cause.
L'arrêt précité semble revenir sur cette position et constitue en-soi un retour à une jurisprudence antérieurement rendue, que l'on pensait abandonnée (Cass civ 1, 16 janvier 2013: Pourvoi n° 12-14439).
Cette conception tend à considérer que, finalement, si l'on prend en compte l'aléa judiciaire, inhérent à toute action, potentiellement, chaque action ouvre le droit à une indemnisation, même symbolique ou minime dès lors qu'une faute est démontrée.
- On peut tout d'abord se poser la question de la compatibilité de cette position avec la sanction souvent retenue de l'avocat auquel il est reproché d'avoir lancé une action qui serait considérée comme étant vouée à l'échec (Par exemple: Cass civ 1, 28 octobre 2015: Pourvoi n°14-24616). Toute action étant par nature soumise à l'aléa judiciaire, celle vraisemblablement vouée à l'échec recèle potentiellement toutefois théoriquement une chance même minime d'obtenir gain de cause, du fait de l'aléa judiciaire. L'arrêt du 12 octobre 2016 tend-il à remettre en cause la sanction de l'action vouée à l'échec ? Il est prudent de penser que non.
Pèse alors sur l'avocat une charge lourde lorsqu'il doit conseiller son client, avec un couloir étroit entre l'action vraisemblablement vouée à l'échec et celle qu'il faut tout de même lancer, ne serait-ce que parce qu'elle permet à son client d'espérer une chance « même minime » du fait de l'aléa judiciaire, d'obtenir gain de cause.
- Par ailleurs, une telle conception est également sévère en ce qu'elle fait supporter par l'avocat, ou ses assureurs, les conséquences de cette notion d'aléa judiciaire. Or, l'aléa est notamment composé de la probabilité que le juge fasse une application erronée de la règle, (outre les voies de recours ouvertes, bien entendu). Mais, d'une certaine manière, cela revient à mettre à la charge de l'avocat la possibilité que le juge se trompe, la justice restant humaine et donc faillible.
Il est donc à souhaiter que cette position ne vienne pas remettre en cause les arrêts précédents. Il en va de la prise en compte par les juges du droit de la réalité pratique de l'exercice des professions du droit.
Cet appel à une conception réaliste de la faute de l'avocat peut également être étendu à un autre critère d'appréciation de la perte de chance. Dans un arrêt rendu il y a déjà plusieurs années (Cass. civ.1, 25 novembre 2010 : Pourvoi n° 09 – 69 191), la Juridiction Suprême avait estimé qu'en statuant au regard de perspectives de recouvrement, qui seraient étrangères aux chances de succès de l'action envisagée, la Cour d'appel avait violé l'art. 1147 du Code civil, dans sa rédaction applicable à l'époque. Selon cette théorie, il ne faudrait donc pas prendre en considération les perspectives de recouvrement, c'est-à-dire concrètement la solvabilité du débiteur ou la possibilité pour le créancier de le retrouver, dans l'appréciation de la perte de chance. Une telle conception semble faire abstraction de ce que, pourtant, les perspectives de recouvrement font partie des critères essentiels que l'avocat, lorsqu'il conseille son client, doit prendre en compte pour l'inciter ou non à lancer telle ou telle action.
En la matière, il ne faut pas oublier que la règle reste celle du principe indemnitaire: L'action doit pouvoir replacer le client dans la situation réelle dans laquelle il se serait trouvé si la faute n'avait pas été commise. Reconnaître l'existence d'une perte de chance en se contentant de reconstituer la discussion en droit, mais sans demander aux juges du fond de porter un regard, dans chaque espèce, sur les possibilités objectives que la décision de justice obtenue puisse être exécutée revient à faire bénéficier le client victime de sommes qu'il n'aurait probablement jamais obtenues.
On pense également à plusieurs arrêts rendus en la matière ayant consacré le fait que le client puisse revendiquer à titre de préjudice dans le cadre de l'action en responsabilité professionnelle le remboursement des honoraires versés à l'avocat. La métaphore souvent avancée devant les juridictions par les avocats en charge de la défense de leurs confrères consiste à rappeler que le maçon, tenu d'une garantie décennale, s'il doit reconstruire son ouvrage atteint dans sa solidité, n'a pas pour autant l'obligation de rembourser le client du prix initialement payé pour le construire, sauf à ce qu'au final le client ne bénéficie d'un mur qu'il n'a pas payé.
En outre, la fixation des honoraires, faut-il le rappeler, fait l'objet d'une compétence spéciale du Bâtonnier et devrait donc par nature échapper à l'appréciation du juge de droit commun, sans qu'il ne puisse être fait entorse à la loi spéciale par un artifice sémantique consistant à qualifier la demande de dommages intérêts, pour ne pas parler de remboursement.
On ne peut donc qu'appeler de nos vœux la prise en compte, dans chaque espèce, par les juges du fond, des circonstances particulières et des paramètres dans leur ensemble dont l'avocat tient compte pour conseiller son client et de l'économie de la relation avec celui-ci.
Cet article n'engage que son auteur.
Crédit photo : © milamon0 - Fotolia.com
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