L’attitude du client et l’analyse contextuelle dans la responsabilité des professions du droit
Auteur : ENGLISH Benjamin
Publié le :
06/06/2016
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Les professionnels du droit, qu’ils soient notaire, huissier ou avocat, répondent naturellement des fautes qu’ils peuvent commettre dans leur activité.A l’heure de l’avènement de la société collaborative, il est nécessaire de s’interroger sur les limites à l’engagement de cette responsabilité compte tenu à la fois de l’intervention de plusieurs professions différentes dans une même opération complexe, et du rôle actif qui peut être attendu du client lui-même dans la relation avec le professionnel.
Une opération juridique peut être l’aboutissement de négociations faites entre les parties sans le concours du rédacteur final de l’acte, auquel elles demandent finalement uniquement d’en contrôler la légalité et d’y donner une substance juridique. C’est par exemple souvent le cas en matière de cession de part sociales ou de fonds de commerce, les parties ayant déterminé elles-mêmes la valeur de la transaction, qui peut reposer sur des éléments subjectifs. Dans cette hypothèse, l’avocat qui ne maîtrise pas tous les aspects de l’opération peut établir qu’il n’était pas chargé de veiller aux aspects économiques et financiers de l’opération (Cass civ 1, 30 mai 2012 : Pourvoi n°11-16944). Encore faut-il que le professionnel pose clairement les limites de sa mission.
En matière judiciaire, s’il n’est tenu qu’à une obligation de moyen, pour mener à bien son mandat, le professionnel doit réunir les éléments extra-juridiques nécessaires à la constitution de son dossier. Il a pu être estimé qu’il était à cet égard titulaire d’un devoir de curiosité et de diligence. Une illustration récente a rappelé que, même dans l’hypothèse où le client avait incontestablement eu connaissance d’une décision sollicitant la production de pièces complémentaires qu’il n’avait pas produites, son avocat ne pouvait avancer cet argument pour légitimer sa propre inertie, qui avait ici consisté à ne pas conclure en réponse et à ne pas se présenter à l’audience de renvoi (Cass civ 1, 15 mai 2015 : Pourvoi n°14-17096). Il s’agit néanmoins probablement d’un arrêt d’espèce.
Mais jusqu’où le devoir de conseil et de curiosité doivent-ils aller ?
La Cour de Cassation a donné à cette question une réponse si explicite qu’elle peut être reprise in extenso, pour être certain de ne pas la dénaturer : « Mais attendu que le devoir de conseil auquel est tenu le rédacteur d’actes s’apprécie au regard du but poursuivi par les parties et de leurs exigences particulières lorsque, dans ce dernier cas, le praticien du droit en a été informé ; que si le professionnel doit veiller, dans ses activités de conseil et de rédaction d’actes, à réunir les justificatifs nécessaires à son intervention, il n’est, en revanche, pas tenu de vérifier les déclarations d’ordre factuel faites par les parties en l’absence d’éléments de nature à éveiller ses soupçons quant à la véracité des renseignements donnés ; » (Cass civ 1, 25 mars 2010 : Pourvoi n°09-12294).
Au-delà de l’inexactitude des faits ou de l’imprécision des objectifs définis par les clients, l’esprit retors pourrait même envisager que le client retienne malicieusement le but véritable de la mission confiée à son conseil. Là encore, celui-ci pourra s’exonérer, n’étant tenu que des informations dont il disposait et des objectifs « affichés » par ses clients (Cass civ 1, 4 mai 2012 : Pourvoi n°11-14617), lesquels ne sauraient lui reprocher de ne pas les avoir alertés sur le principe ou les conséquences une fausse déclaration, s’agissant d’un principe de bonne foi élémentaire (Cass civ 1, 31 octobre 2012 : Pourvoi n°11-15529).
Et même à établir que le professionnel ait commis un manquement à ses obligations, l’attitude du client, appréciée au cas par cas, revêt encore une importance cruciale :
En effet, les praticiens du droit de la responsabilité savent bien que, souvent, le préjudice ne peut reposer que sur la perte de chance raisonnable d’une éventualité favorable (voir article précédent). Mais s’il n’a pas réussi à rapporter la preuve de l’accomplissement de son devoir de conseil - ce qui ne veut pas dire qu’il ne l’a pas dispensé pour autant, mais au moins qu’il ne s’en est pas ménagé la preuve – le professionnel peut même s’exonérer totalement en établissant que, même mieux informé, son client n’aurait pas agi de manière différente (Cass civ 1, 20 mars 2014 : Pourvoi n°13-12287). Ceci est une position pragmatique : puisque le choix du client aurait été le même, le préjudice qu’il invoque aurait été subi inévitablement.
On voit ainsi que l’analyse d’une action en responsabilité contre un professionnel du droit ne peut être faite uniquement en considération seule de l’attitude de ce dernier dans la conduite de sa mission. Elle doit également être construite au vu de l’attitude objective du client, et du contexte. On ne peut donc qu’inviter les praticiens à bien définir avec leurs clients les objectifs recherchés, et les limites de la mission qui leur est confiée, surtout lorsqu’ils agissent en concours ou après d’autres professionnels. A cet égard, développer des synergies constructives entre les différents acteurs du projet, et en y associant activement leurs clients, leur permet probablement de favoriser l’efficacité et la valeur ajoutée de leur travail, tout en préservant leur sérénité.
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Cet article n'engage que son auteur.
Crédit photo : En matière judiciaire, s’il n’est tenu qu’à une obligation de moyen, pour mener à bien son mandat, le professionnel doit réunir les éléments extra-juridiques nécessaires à la constitution de son dossier. Il a pu être estimé qu’il était à cet égard titulaire d’un devoir de curiosité et de diligence. Une illustration récente a rappelé que, même dans l’hypothèse où le client avait incontestablement eu connaissance d’une décision sollicitant la production de pièces complémentaires qu’il n’avait pas produites, son avocat ne pouvait avancer cet argument pour légitimer sa propre inertie, qui avait ici consisté à ne pas conclure en réponse et à ne pas se présenter à l’audience de renvoi (Cass civ 1, 15 mai 2015 : Pourvoi n°14-17096). Il s’agit néanmoins probablement d’un arrêt d’espèce. © Jérôme Rommé - Fotolia.com
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