Responsabilité de l’avocat : Quand il n’y a pas de chance perdue, il n’y a pas de préjudice indemnisable
Auteur : ENGLISH Benjamin
Publié le :
05/11/2020
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L’avocat, comme tout professionnel, est responsable du bon accomplissement du mandat qui lui est confié. Il est d’ailleurs obligatoirement assuré pour cela. Pour autant, les clients déçus, parfois sur des considérations subjectives, font souvent l’amalgame entre la faute qui serait commise par le professionnel, et l’indemnisation qu’ils voudraient revendiquer. Or, les choses ne sont pas si simples.
La responsabilité civile ne peut être engagée qu’à la triple démonstration d’une faute, d’un préjudice (lequel doit être à la fois actuel, direct et certain) et d’un lien de causalité qui s’articule entre les deux. Et c’est souvent ce lien de causalité qui prête à discussion. En effet, si le préjudice subi par le client ne trouve pas sa cause dans l’action ou l’inaction fautive, évidemment, l’action n’est pas ouverte.
Le lien de causalité peut souvent être exprimé à travers la notion de « perte de chance », c’est à dire la probabilité que l’issue du litige eut été différente, ou que les termes de la négociation eurent pu être modifiés, si la faute n’avait pas été commise. Or, toute la difficulté consiste justement à l’évaluer, ce qui se fait souvent en l’exprimant en pourcentages (ce qui permet d’espérer probablement beaucoup en la matière des outils d’analyse statistique de jurisprudence, qui s’expriment eux-mêmes en pourcentages, entre autres).
La jurisprudence de la Cour de Cassation sur cette question est déjà fort ancienne.
Elle a rapidement précisé que la réparation d’une perte de chance doit être mesurée à l’aune de la chance perdue et ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée (Cass. civ. 1ère, 16 juillet 1998 : Pourvoi n° 96-17104, entre autres).
Elle enseigne également que le pouvoir d’appréciation des juges du fond est souverain et qu’il revient alors à la juridiction « d’apprécier la chance qu’avaient les demandeurs d’obtenir satisfaction, en reconstituant fictivement la discussion qui aurait pu s’instaurer entre les victimes et leur assureur, et de tenir compte du moment auquel les indemnités auraient pu être payées ; » (Cass. civ. 1 ère, 4 avril 2001 : Pourvoi n°98-11364).
C’est ainsi que la « victime » doit rapporter la preuve qu’elle avait des chances d’obtenir gain de cause en appel (Cass. civ. 1ère, 8 juillet 2003 : Pourvoi n°99-21504).
Par deux arrêts rendus respectivement le 30 avril 2014 et le 10 juillet 2014, la Cour de Cassation a confirmé que le caractère indemnisable du principe d'une perte de chance ne pouvait être acquis que dans l'hypothèse d'une chance « raisonnable » d'obtenir une décision différente (Cass. civ. 1ère, 30 avril 2014: Pourvoi 12-22567 et Cass. civ. 1 ère, 10 juillet 2014: Pourvoi 13-20606).
Cette position sur la perte de chance raisonnable a été encore rappelée par la suite (Cass. civ. 1ère, 25 novembre 2015 : Pourvoi n°14-25109 et Cass. civ. 1, 1er juin 2016: Pourvoi 15-20397).
Elle fait également parfois référence à la nécessaire vérification par les juges du fond de la perte d’une chance au moins « sérieuse » (Cass. civ. 1ère, 8 février 2017 : Pourvoi n°15-28684) et leur donne raison de refuser d’indemniser une perte de chance simplement hypothétique (Cass. civ. 1, 12 mai 2016 : Pourvoi n°15-17062) et a fortiori une chance nulle (Cass. civ. 1ère, 1 octobre 2014: Pourvoi 13-24692).
Récemment encore, elle rappelle qu’une perte de chance doit présenter un caractère « réel et certain » (Cass. civ. 1, 10 octobre 2018 : Pourvoi n°17-21492)
Il s’agit donc d’une construction jurisprudentielle évolutive, et chaque arrêt marquant apporte sa pierre à l’édifice.
Dans un arrêt rédigé selon la nouvelle formulation des décisions de la juridiction suprême, la première chambre civile de la Cour de Cassation, le 9 septembre 2020, a consacré l’absence pure et simple de démonstration d’une perte de chance retenue par la juridiction du fond lorsque les perspectives d’obtenir une décision plus favorable n’existaient pas (Cass civ. 1, 9 septembre 2020 : Pourvoi n°19-16047).
Cet arrêt, dans la lignée de la décision précitée du 1er octobre 2014, ne bouleverse pas les principes retenus en la matière. Mais il les explicite.
En l’espèce, il était reproché à un avocat de ne pas avoir sollicité de son client des pièces complémentaires pour construire son dossier, et par conséquent, de ne pas les avoir produites devant la juridiction. La Cour d’appel avait retenu le principe d’une faute. Pour autant, elle avait estimé que les pièces en question, étudiées dans le cadre de l’instance en responsabilité, n’auraient pas permis d’envisager une issue différente.
La décision est motivée comme suit : « En l'état de ces constatations et appréciations souveraines, elle a retenu, à bon droit et sans se contredire, que la production des pièces litigieuses, insuffisante à écarter la présomption instituée par le texte précité, n'aurait pas permis à M. B... d'obtenir une décision plus favorable devant la juridiction administrative, de sorte que la responsabilité de l'avocat n'était pas engagée. »
Cette décision vient clairement distinguer, si cela était encore nécessaire, la question de la faute, de celle du préjudice et du lien de causalité. La seule faute ne permet pas l’engagement de la responsabilité. Elle vient également contredire les défenseurs d’une position selon laquelle dès lorsqu’il y aurait une faute, il existerait une perte de chance, même minime, et tenant parfois uniquement à l’aléa judiciaire.
Ici, la perte de chance n’était pas réelle, ni sérieuse, ni raisonnable. Elle était tout simplement inexistante, et même en présence d’une faute, aucune indemnisation n’était due.
Certains principes de base doivent de temps en temps être rappelés, et la rédaction, désormais dans une structure grammaticale plus moderne, des décisions de la Cour de cassation saura, espérons-le, faire œuvre de pédagogie.
Cet article n'engage que son auteur.
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