Les contours du devoir de diligence de l'avocat
Auteur : ENGLISH Benjamin
Publié le :
21/11/2011
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2011
La plupart des conventions de frais et honoraires soumises par les avocats à leurs clients comportent une clause rappelant que ce dernier doit fournir à son conseil les éléments relatifs à son changement de statut juridique.
Une précision salvatrice de la Cour de Cassation sur les contours du devoir de diligence de l'avocat
Cass. civ. 1, 22 septembre 2011 (Pourvoi n°10- 23 503).
La plupart des conventions de frais et honoraires soumises par les avocats à leurs clients comportent une clause rappelant que ce dernier doit fournir à son conseil les éléments relatifs à son changement de statut juridique. Mais qu'en est-il du changement de situation de l'adversaire, notamment quand celui-ci fait l'objet d'une procédure collective soumise à une déclaration de créance enfermée dans un délai strict ?
Dans cette affaire, un créancier (le client) avait consenti un prêt à deux époux (les débiteurs), l'un de 500 000 francs et l'autre de 1 000 000 de francs. Ce second prêt était par ailleurs garanti par le cautionnement hypothécaire d'une société civile tierce appartenant aux débiteurs. À défaut de remboursement spontané, un avocat avait été chargé du recouvrement de la créance. La société civile ayant fait l'objet d'une procédure collective en 1992, l’avocat avait déclaré la créance garantie au passif de cette dernière. Par la suite, les débiteurs eux-mêmes avaient bénéficié, en 1994, à titre personnel, d'une procédure de redressement. L'avocat, qui n'en avait pas été averti, n'avait pas déclaré la créance dans les temps.
Le client, ou plutôt ses ayants droits, ont intenté une action en responsabilité civile professionnelle à l'encontre de l'avocat. En substance, ils soutenaient que constituait une faute ouvrant droit à réparation le fait de n'avoir pas surveillé l'existence d'une procédure ouverte à l'encontre des débiteurs, que l'existence de la procédure frappant la société civile rendait probable. Ils reprochaient également à l'auxiliaire de justice de n'avoir pas fait diligence auprès du représentant des créanciers pour en être informé.
La Cour d'appel les avait déboutés au motif, notamment, que l'exigence de surveillance des mesures de publicité susceptibles d'atteindre toute personne physique non commerçante dont les clients d'un avocat pouvaient être créanciers était en fait matériellement impossible. La Cour de Cassation rejette le pourvoi et confirme la décision des juges du fond. Elle indique que les débiteurs, n'ayant pas la qualité de commerçant et ne relevant donc pas de l'inscription au registre du commerce et des sociétés, avaient fait l'objet de redressements ouverts à leur requête plus d'un an après celui de la société civile particulière et que « ne pouvait être exigée d'un avocat la surveillance des mesures de publicité susceptibles d'atteindre toute personne physique non commerçante dont ses clients peuvent être créanciers ».
Il s'agit d'une jurisprudence réaliste. La doctrine avait pu s'émouvoir il y a quelque temps d'une jurisprudence contraire qui avait consacré en pareille hypothèse la responsabilité de l'avocat (1). Les commentateurs avaient d'ailleurs souligné que, ce faisant, la jurisprudence se montrait plus sévère encore avec l'avocat qu'avec les établissements de crédit, pourtant largement mieux armés que les cabinets pour se tenir informés de la situation d'un débiteur. La Cour de Cassation n'avait pas eu l'occasion de se prononcer. C'est aujourd'hui chose faite.
Néanmoins, la portée de cette jurisprudence reste doublement limitée.
D'une part, l'avocat restera fautif, s'il n'a pas agi alors que le client lui a apporté les éléments nécessaires sur la situation de son débiteur en temps et en heure.
D'autre part, elle ne saurait s'appliquer à la situation d'un débiteur soumis à la publicité du registre du commerce et des sociétés. Les outils informatiques mis à la disposition des professionnels du droit permettent en effet aujourd'hui de façon tout à fait accessible de placer « sous surveillance » un débiteur et d'être alerté de tout événement déposé au Greffe. Dans ce cas, le préjudice invoqué ne pourrait alors être qu'une perte de chance de recouvrer la créance, dont on sait qu'elle est statistiquement relativement faible.
Reste à savoir si, lorsque le débiteur dispose d'un conseil, ce dernier n'est pas tenu, en vertu du principe de loyauté, d'informer son contradicteur du changement de situation de son client. Mais il s'agit ici d'une question qui relève plus de la déontologie de la responsabilité civile.
Index:
(1) CA Grenoble, 3 mai 2002 : Gaz. Pal. 2001, J. p. 85, note du Rustec (cité également dans « Responsabilité des avocats » – Yves Avril - collection Dalloz référence, 21. 114)
Cet article n'engage que son auteur.
Crédit photo : © Rafa Irusta - Fotolia.com
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