Devoir de conseil de l'avocat et aléa du droit du travail
Auteur : ENGLISH Benjamin
Publié le :
25/03/2013
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Si à l'impossible nul n'est tenu, le devoir de conseil qui incombe à l'avocat dicte que ce dernier informe son client de l'aléa de la jurisprudence comme l'illustre cet arrêt du 6 février 2013.
L'obligation d'information : un complément nécessaire de l'obligation de moyensI. Le contextePour faire simple, une société X., filiale d'un groupe allemand, avait souhaité procéder à la fusion-absorption d'une société Y. spécialisée dans le même domaine. La société X., pour se faire assister, avait fait appel aux conseils d'un cabinet d'avocats.
Une difficulté se posait : la fusion devait être effective au 31 décembre 2006 et les mandats des membres du Comité d'entreprise de la société Y. (l’absorbée) expiraient quelques semaines plus tôt. Par ailleurs, une réduction des effectifs étant nécessaire, il était prévu un plan de sauvegarde de l'emploi, lequel devait être soumis au Comité d'entreprise.
La solution proposée par le cabinet d'avocats avait été de convenir d'une prorogation des mandats des membres du Comité d'entreprise, jusqu'à ce qu'un nouveau Comité d'entreprise représentatif de l’ensemble des salariés travaillant dans la nouvelle structure (après fusion) soit élu. C'est donc un Comité d'entreprise regroupant les élus de l'absorbante et de l'absorbée qui avait été amené à étudier, quelques semaines plus tard, le plan social.
À l'initiative de l'un des membres dudit Comité, particulièrement virulent parce que concerné par les licenciements, la validité du plan avait été attaquée devant le Tribunal. Le même cabinet d'avocats a donc défendu les intérêts de la société dans la phase judiciaire. Dans le cadre des débats, la société avait émis des propositions supérieures d'indemnisation, modifiant ainsi la substance du plan initial.
Le Tribunal avait alors estimé que le plan devait être annulé aux motifs :
1) que le Comité d'entreprise n'était pas correctement composé. En effet, la fusion-absorption avait enlevé toute personnalité morale à l'entreprise absorbée. Subséquemment, la légitimité des membres du Comité d'entreprise d'une société n’ayant plus d'existence était remise en cause.
2) que, dans la mesure où l'employeur avait fait en cours d'instance, par voie de conclusions, des propositions de modifications du plan, sa nullité était encourue, à défaut d'avoir été soumis à l'étude obligatoire du Comité d'entreprise dans sa version modifiée.
Pour ces deux raisons, le Tribunal avait annulé le plan. Le cabinet d'avocats avait déconseillé d'interjeter appel de cette décision. Il avait été dessaisi du dossier et la société, avec un nouveau conseil, avait établi un nouveau plan.
II. La discussionLa société a souhaité engager la responsabilité de son ancien conseil. Elle soutenait l'existence de deux fautes reprises sur les deux motifs d'annulation du plan par le Tribunal :
- la première en ce que le cabinet d'avocats avait conseillé la prorogation des mandats du Comité d'entreprise de l'absorbée, solution invalidée par le Tribunal,
- la seconde en ce que le cabinet d'avocats avait proposé des modifications du plan en cours d'instance, ce qui avait motivé le Tribunal à prononcer l’annulation, à défaut d'avoir été soumis, dans les nouvelles conditions, au Comité d'entreprise.
En première instance, la responsabilité du cabinet de l'avocat a été retenue. Seul le second des reproches formulés par son ancien client a été considéré par la juridiction comme constitutif d'une faute. Néanmoins, le préjudice retenu par le Tribunal de grande instance était bien plus faible que les demandes de la société. En effet, celle-ci sollicitait une indemnisation à hauteur de l'ensemble des coûts directs et indirects occasionnés par la nécessité d'élaborer un nouveau plan. Insatisfaite de ce jugement reconnaissant pourtant, sur le principe, la responsabilité de son ancien conseil, la société avait interjeté appel.
Au second degré, la Cour d'appel a confirmé que le cabinet d'avocats n'était pas fautif dans la solution qu’il avait proposée de proroger les contrats des membres du comité d'entreprise. Elle précisait qu'au regard du droit positif à l'époque et des impératifs de représentation des salariés, il s'agissait d'une solution exempte de reproches (même si elle était risquée puisqu'elle avait été invalidée par la suite par le Tribunal à la suite d'un recours). L’arrêt d’appel adoptait la motivation suivante : « Considérant que la société W., en cherchant à assurer la continuité de la représentation des travailleurs transférés dans l'attente de la désignation de nouveaux représentants n'a en conséquence pas commis l'erreur d'appréciation qui lui est imputée... » [...] « il n'était donc pas fautif de rechercher à consulter les deux comités d'entreprise, en effet, le raisonnement suivi était adéquat en ce qu'il n'a pas fait abstraction du principe selon lequel lorsque les deux sociétés ont chacune des comités d'entreprise mais ne demeurent pas autonomes, elles cessent d'être identifiables... ».
La cour d'appel a en revanche confirmé la faute du cabinet d'avocats en ce qu'il avait conseillé à sa cliente de faire des propositions de modification du plan en cours d'instance, ces modifications devant être au préalable soumises au Comité d'entreprise. Les juges du second degré sont même allés plus loin dans leur raisonnement en suggérant que la bonne démarche eût alors été de solliciter, en référé, la convocation d'un Comité d'entreprise pour régulariser la situation.
S'agissant du dommage, la Cour d'appel, faisant application d'une jurisprudence constante, a néanmoins précisé que le dommage ne pouvait résulter que d'une perte de chance. Elle prenait en considération le fait que, d'une part, le plan initial était, de l'aveu même de la société, peu généreux et donc fortement susceptible d'être invalidé sur le fond. Elle prenait également en considération l'aléa nécessaire de ce type de procédure, qui ne permettait pas d'affirmer que, en l'absence de la faute de l'avocat, les licenciements auraient pu être notifiés à la date initialement planifiée. Aussi, la juridiction du second degré réduisait encore l'indemnisation allouée à la société en réparation de son préjudice.
Cette dernière, pas plus satisfaite formait donc cette fois-ci un pourvoi en cassation.
Dans son arrêt du 6 février 2013, la première chambre civile se concentre sur la troisième branche du premier moyen soutenu par la société. Après avoir rappelé que la Cour d'appel avait écarté l'existence d'une faute au motif que la solution envisagée n'était pas dépourvue de pertinence, la Cour casse la décision des juges du fond au motif suivant : « Qu'en statuant comme elle l'a fait, après avoir relevé que la solution proposée par l'avocat était incertaine dans le silence des dispositions du code du travail alors en vigueur, sans s'assurer, en présence d'une contestation sur ce point, que les clients avaient été informés de l'aléa ainsi constaté, la cour d'appel a, de ce chef, privé sa décision de base légale ; »
III. L’aléa peut exister, mais le client doit en être informéOn le sait, le droit social est l'une des matières où la jurisprudence évolue le plus rapidement. En outre, il s'agit d'un domaine d'une technicité certaine, qui subit l'influence du droit international et du droit européen. En matière de plans sociaux, l'art du praticien est de proposer des montages juridiques qu'il doit composer parfois dans le silence des textes sur certaines situations. Il faut alors faire preuve d'innovation. C'était le cas en l'espèce, comme les juridictions, y compris la Cour de Cassation, l'on reconnu. Nécessairement, alors, il faut choisir entre plusieurs options possibles, plusieurs choix cornéliens, en conscience des risques que chacun présente. Les praticiens le savent.
Parallèlement, on le sait, l'avocat ne peut être tenu que d'une obligation de moyens dans la défense de son client, compte tenu de l'aléa judiciaire. Dans cette décision, la juridiction suprême nous rappelle qu'en dehors de toute faute technique de l'avocat dans le conseil qu'il prodigue à son client, il ne suffit pas que le praticien lui-même soit conscient de l'aléa de la solution qu'il propose. Il est essentiel également que son client en soit parfaitement informé. Il s'agit de l'obligation d'information, laquelle est le nécessaire complément de l'obligation de moyens.
C'est la raison pour laquelle, la Cour de Cassation déplace le débat. Devant les juridictions du fond, c'est la question de la pertinence technique de la solution proposée qui avait été débattue. Les juges du fond avaient estimé que la solution était pertinente, reconnaissant en outre l'absence de texte clair et ce faisant la complexité de la question de droit. Devant la juridiction du droit, la pertinence technique de la solution n'est pas remise en cause, il est juste rappelé que, parallèlement, s'il existe un risque, le client doit en être informé.
À ce stade, c'est le raisonnement des juges du fond qui est sanctionné, pas celui de l’avocat. La Cour d'appel de renvoi devra donc se pencher sur la question de la preuve de l'obligation d'information, laquelle pèse sur l'avocat. Soit l'avocat arrivera à prouver qu'il a informé son client sur les risques encourus d'annulation du plan (ce qui pourrait résulter des écrits échangés entre le conseil et l'entreprise) et il n'y aura pas de faute. Soit l'avocat ne pourra pas apporter cette preuve. Dans cette hypothèse, pour autant, il n'est pas encore certain que l'entreprise pourrait voir son indemnisation modifiée. Il faudrait encore faire appel ici à la notion de perte de chance et se demander quelle aurait été la probabilité pour que, parfaitement informée, elle eu choisi une autre solution. Laquelle ? Existait-il une solution moins risquée ?
Cet article n'engage que son auteur.
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