Professions libérales : la place de la confiance dans la rupture des relations commerciales
Auteur : ENGLISH Benjamin
Publié le :
18/11/2019
18
novembre
nov.
11
2019
L'article L 442 – 6 du Code de commerce définit un certain nombre de situations engageant la responsabilité d'acteurs économiques vis-à-vis de leurs cocontractants. En particulier, le 5° de ce texte, très connu des praticiens du droit commercial, sanctionne la rupture abusive des relations commerciales selon des critères très précis. Le contentieux en application de cet article est très abondant et son texte a d'ailleurs évolué sous l'impulsion de la jurisprudence, pour s'adapter à la réalité économique et sociétale.
Pour autant, la jurisprudence a de longue date considéré que l’expression de référence de «relations commerciales» excluait tout ce qui n'en était pas, à commencer par bon nombre de prestations intellectuelles.
La jurisprudence a donc exclu très rapidement l'application de ce texte du Code de commerce, par exemple aux relations entretenues entre des médecins et une clinique (Cass. com. 23 octobre 2007 : Pourvoi n° 06–16 774). Cette position a été confirmée pour la profession de Conseil en propriété intellectuelle (Cass. com. 3 avril 2013 : Pourvoi n° 12–17 905). Selon la même logique, il en a été de même s'agissant de la relation entre un avocat et son client (Cass. com. 24 novembre 2015 : Pourvoi n° 14 – 22 578).
Un arrêt appelle toutefois l'attention, qui date déjà de quelque mois et rendu par la Cour d'appel de Paris, appliquant la même solution juridique s'agissant de la relation entre un expert-comptable et son client (CA Paris, 8 novembre 2018 : n°17/09 803 non publié sur Légifrance à cette date). Pour rejeter l'application de l'article L 442 – 6 I 5° du Code de commerce, la juridiction y considère : « que cette disposition n'est pas applicable aux relations qui existent entre un expert-comptable et son client, relations qui ne sont pas fondées sur la seule recherche du profit mais également sur le lien de confiance devant exister entre eux. »
Les commentateurs avisés auront noté qu'au critère du caractère libéral de la prestation et donc l'exclusion du caractère commercial par nature, se substituait le critère lié à la caractéristique selon laquelle la relation, pour contractuelle qu'elle demeure, reposait sur un lien de confiance. On passerait donc d'un critère objectif tenant à la qualification juridique d'acte de commerce ou non, bien défini, à un critère lié à l'existence ou non d'un lien de confiance, beaucoup moins objectif (étant observé que la recherche de profil n’exclue probablement par en soit une relation basée sur la confiance…). Maladresse de plume ou véritable volonté d'extension future de la solution à d'autres champs, il est difficile de se prononcer.
Pour autant, pour valorisante qu'est la reconnaissance d'un lien de confiance comme composante essentielle de la relation entre le prestataire libéral, professionnel du chiffre ou du droit, et son client, sa conséquence, à savoir l'inapplicabilité de l'article du Code de commerce dont l'objet est de protéger certains acteurs économiques, peut apparaître comme un facteur d’insécurité.
On peut se demander si cette position est adéquate, alors que les observateurs des professions concernées conviennent que la relation entre le client et le professionnel a évolué dans les dernières années, pour se rapprocher à bien des égards d'une prestation classique, sur demande de la clientèle, et à laquelle il faut répondre tout en gardant évidemment précieusement le soin de ne pas faire entorse aux règles déontologiques. Du reste, les clients eux-mêmes ont parfaitement anticipé certains aspects de cette mutation puisque ceux qui confient un volume important d'affaires à tel ou tel prestataire veillent bien à répartir les affaires de manière à faire en sorte de ne pas représenter une part trop importante de l'activité du professionnel, afin d'éviter les dérives liées à d'autres des problématiques traitées par l'article L 442 – 6 du Code de commerce, notamment l'abus de dépendance économique.
Mais, et c'est là l'autre enseignement de l'arrêt rendu par la Cour d'appel de Paris le 8 novembre 2018, le professionnel évincé par son client pourra, s'il ne peut invoquer les dispositions du Code de commerce, se retrancher sur le droit commun en matière contractuelle prévu par les règles du Code civil et qui sanctionnent la faute dans l'exécution du contrat. En effet, la Cour d'appel de Paris, nonobstant l'éviction du Code de commerce, procède à une analyse des griefs formulés par les parties et du préjudice allégué selon les règles classiques de responsabilité civile.
On ne peut alors qu'appeler les professionnels et leurs clients à être vigilants sur l'aménagement contractuel de leurs liens, en prévoyant tant que faire se peut au début de la relation les règles qui en régiront la fin. A cet égard, la situation est même probablement plus simple sous le seul angle du droit commun, puisque la jurisprudence de l'article L 442-6 a consacré la possibilité pour le juge de passer outre les stipulations contractuelles entre les parties. Évidemment, ceci sera sans compter également sur le nouvel art. 1195 du Code civil lequel, à l'inverse, consacre un pouvoir d'immixtion du juge au titre de l'imprévision.
En conclusion, en matière de rupture des relations contractuelles, mieux vaut prévenir que guérir.
Cet article n'engage que son auteur.
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