Pratiques anticoncurrentielles

L’indemnisation des sociétés victimes de pratiques anticoncurrentielles

Auteur : ENGLISH Benjamin
Publié le : 07/02/2020 07 février févr. 02 2020

Même les esprits les plus libéraux s’accordent à penser que, sur un marché libre et mondialisé, la concurrence entre les acteurs économiques doit être régulée, pour rester saine. C’est la raison d’être des autorités de la concurrence mises en place dans chaque pays, et au niveau de la Commission européenne. Pour autant, l’indemnisation des entreprises ayant été victimes de pratiques anticoncurrentielles a souvent posé problème, ces dernières, acteurs économiques souvent plus faibles, pouvant éprouver des difficultés à prouver la réalité de leur préjudice.  
Ces difficultés se traduisaient souvent sur le plan de la charge de la preuve. Par exemple, comment prouver qu’une entente sur les prix par mes fournisseurs m’a été préjudiciable, parce que j’ai acheté mes fournitures trop chères, surcoût que je n’ai pas pu imputer sur le coût de revente de mes produits?
 
Les règles de preuve applicables devant les juridictions nationales, qui en France consacrent le principe de la réparation intégrale du préjudice, mais excluent l’allocation de dommages-intérêts punitifs, ne pouvaient plus in fine aboutir à des situations de déni de justice, à défaut de preuves. Ceci avait été souligné déjà de longue date, et notamment dans un livre blanc de la Commission européenne de 2008 (accessible ici) posant parfaitement la problématique. La doctrine et les praticiens étaient d’accord.
 
Opportunément, une Ordonnance du 9 mars 2017 (complétée sommairement par un Décret du même jour) est venue créer un titre du Code de commerce spécifiquement dédié aux actions en dommages et intérêts du fait des pratiques anticoncurrentielles. Ces dispositions se retrouvent codifiées aux articles L 481–1 et suivants du Code de commerce.
 
Cette réforme, qui a maintenant bientôt trois ans, à l’épreuve de l’accélération du temps législatif, n’est pas extrêmement récente. Mais les évolutions qu’elle apporte doivent être soulignées et résumées.
 
Le champ d’application : Tout d’abord, ces règles spécifiques s’appliquent dans les hypothèses où sont consacrés des ententes (sur l’accès au marché, sa répartition ou son contrôle, mais également sur les prix), des abus de position dominante, des abus de dépendance économique ou des exclusivités de droits, mais encore des pratiques de dumping. Le spectre est donc relativement large.
 
L’une des innovations marquantes est la consécration d’une présomption irréfragable de responsabilité dès lors que le défendeur à l’action a fait l’objet d’une décision définitive de l’Autorité de la concurrence nationale (elles sont publiquement accessibles ici pour la France, y compris secteur par secteur) ou d’une décision définitive de la Commission européenne. Si la décision vient d’une autorité d’un autre pays européen, c’est un simple moyen de preuve. Mais la présomption irréfragable enlèvera probablement une grosse épine du pied des plaideurs, sur le principe même de la faute.
 
Les nouvelles dispositions apportent aussi des précisions, qui sont au demeurant essentiellement une transposition légale de ce qui avait été consacré par la jurisprudence, sur la nature du préjudice indemnisable. Il peut résulter d’une perte (soit un surcoût à l’achat, soit une obligation de baisser les prix à la revente), ou d’un gain manqué, ou encore d’une perte de chance, sans oublier d’un préjudice moral, y compris pour une entreprise.
 
Mais l’une des principales évolutions, qui était attendue, est également au niveau des règles de preuve : Le problème était souvent de savoir qui des acteurs du marché avait in fine subi les effets de la distorsion de concurrence. Selon le nouveau régime, une pratique anticoncurrentielle consacrée cause, par principe, un préjudice.
 
La charge de la preuve est simplifiée : En amont ou en aval de la chaîne contractuelle, celui qui n’est pas l’auteur de la pratique anticoncurrentielle est réputé n’avoir pas répercuté ses conséquences sur ses propres cocontractants. C’est au défendeur de prouver le contraire. Cette inversion de la charge de la preuve facilitera grandement l’indemnisation des victimes.
 
Elle facilitera également l’indemnisation de ceux qui n’ont pas directement contracté avec les auteurs de la pratique anticoncurrentielle, qui peuvent quant à eux également prouver qu’ils ont subi le surcoût. 
 
Cet aménagement de la charge de la preuve dans un domaine spécifique se retrouve également dans les dispositions qui sont consacrées à la question de la communication des pièces. La problématique était à la fois de permettre raisonnablement de rapporter une preuve qui, bien souvent, repose sur des éléments détenus par les auteurs de la pratique, tout en préservant de manière légitime le secret des affaires. Un équilibre était à trouver.
 
Les dispositions assouplissent les règles habituelles du procès, en envisageant des aménagements de la publicité des débats, du caractère contradictoire, et jusque dans la rédaction des motifs de la décision. Est également instaurée une obligation de confidentialité vis-à-vis des tiers au procès, en principe même après l’audience, afin de préserver la confidentialité.
 
La communication des pièces provenant du dossier de l’autorité de la concurrence est désormais réglementée, et n’est réservée que dans l’hypothèse où les pièces en question ne peuvent pas être produites spontanément par les parties, en excluant les pièces qui pourraient compromettre une partie ayant spontanément coopéré avec l’autorité en question. 
 
Les nouveaux textes prévoient en outre l’hypothèse d’une pluralité d’auteurs, et leur responsabilité solidaire vis-à-vis des victimes, ainsi que la possibilité de conclure des transactions, avec l’un ou plusieurs des auteurs. Ils instaurent toutefois des règles de protection pour les PME qui n’auraient pas été instigatrices de la pratique, même si elles en sont reconnues responsables.
 
Enfin, sont instaurées des règles spécifiques de prescription plutôt favorables à repousser le point de départ du délai de cinq ans, qui dans tous les cas ne court qu’à compter de critères cumulatifs, et uniquement à compter de la cessation de la pratique anticoncurrentielle devrait permettre aux victimes potentielles avoir le temps de réagir.   En conclusion, cet arsenal de règles spécifiques, dont le présent article ne propose qu’un très bref résumé, est aujourd’hui à la portée des entreprises pour obtenir la réparation d’un préjudice souvent considéré, aujourd’hui à tort, comme ne pouvant pas être prouvé. Il conviendra bien entendu d’observer la pratique jurisprudentielle qui résultera de ces nouvelles dispositions, mais nul doute qu’elles seront rapidement invoquées par les praticiens. Cette évolution était souhaitable pour que la régulation des marchés soit efficace, tout en préservant le secret des affaires.

Cet article n'engage que son auteur.
 

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